46, AVENUE DU BOIS DE BOULOGNE Mon cher René Jean

Je suis bien en retard avec vous. Mais j'ai été si pris par les mille choses qu'il faut que je fasse moi-même qu'il ne m'a pas été possible de venir un peu causer avec vous - Je vais bien moral et physique voici pour moi. Je n'ai pas quitté Paris et vraiment les 4 derniers mois ont été un peu durs en mauvais et en bon, il a fallu résister mais des jours furent où l'on avait peur de se laisser aller comme beaucoup autour de soi. Dieu soit loué tout cela est du passé et pour toujours je l'espère nous voici dans la tranquillité en attendant la fin. Peu à vous dire sur ce qui jadis nous passionnait je ne crois pas que la jeunesse artiste qui n'était pas aux armées ait très bien résisté je crois que les pays plus calmes

les ont attirés. Dans ceux que je suivais Iribe est en Amérique c'est loin comme recul. Legrain qui travaillait avec moi après des séries de mobilisations et de démobilisation dirige une biscuiterie à Rennes - espérons qu'il les fera d'une jolie forme. toute la gente cubiste non sous les armes est répandue dans toutes les directions mais loin des bombardements prudemment ils font demander si on est tranquille. mais nous sommes un peu camouflés en ceux qui ne comprennent pas et ne font plus camarades - La bibliothèque je crois est en partie sur les bords de la Garonne. Je dis je crois car j'ignore un peu ce qui s'y passe. Voilà mon cher ami il en est de même pour la jeune littérature les plus jeunes ayant eu la chance d'être mal bâtis et d'être resté sont ceux qui le plus vite ont filé se jugeant plus précieux que d'admirables pages ils vont nous écrire sur le courage - un peu les communiqués de Ludendorff on recule pour mieux rebondir - Dites moi ce que vous devenez je n'ai pas participé à cette exposition de Zurich qui en somme ne profitera qu'aux Boches pour leur donner des idées. Je suis toujours à votre disposition si je puis vous être utile. Bien à vous et à bientôt j'espère votre ami

Jacques Doucet